Amitiés Unilatérales
J'ai voulu prendre des nouvelles d'un ami perdu de vue depuis quelques années, me demandant ce qu'il avait pu advenir de lui maintenant qu'il avait bougé sur la capitale, où il en était. Mais mon doigt s'est suspendu en prenant mon téléphone.
Dans ma tête je me suis souvenu de toutes ces fois où j'ai initié le contact, ces messages de relances, ces propositions de verres à travers les années. Cette pile d'évènements où je me suis rendu compte que depuis quelques années j'étais le seul moteur de cette amitié.
Certes cette pensée m'avait déjà traversée l'esprit, mais les évènements des dernières années aidant, j'avais repoussé ça dans un coin de ma tête, me disant que tel ou tel ami avait sûrement d'autres chats à fouetter, des préoccupations bien à eux en somme.
Et je ne vais pas juger une amitié à l'aune des nouvelles échangées, ce serait mesquin, une réduction de quelque chose de très beau à une métrique ridicule. Mais peu à peu j'ai réalisé que, pour beaucoup de ce que je pensais être des amitiés, si je ne relançais pas la discussion, je n'avais plus aucune nouvelles du tout.
C'est un goût amer dans la bouche de réaliser que, peut-être, ces amitiés n'avaient pas la même valeur des deux côtés. De se dire que si je pense à ces amis, visiblement je ne dois plus jamais traverser leurs esprits en l'espace de plusieurs années, du moins jamais suffisamment que pour écrire ne serait-ce qu'un "ça va?" . Pour quelqu'un doutant de sa valeur, c'est finalement quelque chose de très destructeur.
C'est aussi une leçon pour moi, d'apprendre à répartir mon énergie dans ces amitiés qui m'enrichissent, qui vivent, qui sont faites d'échanges, de discussions et de rires. Ces amitiés où c'est l'autre aussi qui vient proposer des sorties, des verres, où pour une fois je ne suis pas systématiquement le moteur, des amitiés hybrides en somme.
C'est triste de réaliser que j'ai sans doute beaucoup alimenté ces amitiés unilatérales car je doutais de ma propre valeur. Que je me disais qu'en étant un "bon ami", présent, toujours prêt à aider etc je gagnais en valeur, je "valais la peine d'être fréquenté". Un sentiment tronqué de valorisation que n'aidaient pas non plus les années qui passaient (qu'il était doux le temps où être un twink provoquait des temps de réponse fulgurant).
Parce qu'au fond subsistait toujours ce doute: est-ce que moi, tout simplement, ce petit moi, peut être suffisant dans une relation? Les années ont passées, j'aimerais dire que ma confiance en moi est un menhir resistant au passage des années, mais si elle a réussi à évoluer et se renforcer, elle est loin d'être indestructible.
Doucement je me fais à l'idée que peut être que je suis suffisant pour être un ami, que je n'ai pas à faire tous les efforts, qu'être moi peut suffire. Qu'au final, je ne dois pas être toujours "celui qui prends des nouvelles", qu'être simplement, c'est déjà bien suffisant.