C'est toujours les meilleurs qui partent en premier
Tu prononces cette phrase et je te regarde. Je ne sais quoi penser, je reste interdit. Certes c'est un dicton, une phrase que l'on sort toute faite et qui s'impose d'elle même. Et pourtant mon esprit s'emballe dans une folle course à la pesée de mon âme.
Si ce sont les meilleurs qui partent en premier, qu'advient-il de nous qui restons? Sommes nous si peu important? Tous ces amis partis, que je chéris encore, étais-je finalement moins bien qu'eux, à rester comme ça sur mon côté de la rive? Ou bien aurais-je du réussir à prendre ce bateau il y a plusieurs années pour rejoindre ces tristes lauréats?
Ou ne sont-ils meilleures que parce qu'il emportent avec eux les espoirs de tout ce qui aurait pu être? Que cette valeur qu'on leur attribue est construite sur nos espoirs avortés, sur tout ce qui aurait pu être mais ne sera jamais?
Les années s'entassent et à chaque départ, cette phrase me revient en tête. Mécaniquement, par ma seule existence, j'imagine mon portrait descendre encore d'un cran dans une échelle imaginaire de valeur, tenant un bilan comptable à me demander ce que je pourrais encore bien valoir si je pars à 95 ans, tant d'années après tous ces meilleurs.
Drôle d'inversion de la valeur de la vie que cette expression, où l'on transforme ceux qu'on nous a ravit en vainqueurs d'une course absurde. Sur la ligne d'arrivée, je peux très bien discerner leurs visages, et leur manque ne fait qu'accroitre leur valeur pour moi.
Ce n'est pas tant qu'ils étaient les meilleurs, c'est que pour ceux qui restent, chaque instant sans eux augmente un peu plus le souvenir de ce qu'ils ont été et ces avenirs hypothéqués.